12 Mar L’alchimie du végétal
Les biomolécules du « carbone vert »!
LE CLUB / 2017
« Il était une fois, bien avant l’ère chrétienne, un petit village romain dans lequel les habitants se vouaient aux sacrifices rituels d’animaux au sommet d’un mont nommé Sapo. Sur le lieu de ce rituel sacré s’accumulaient et se mélangeaient au sol des graisses animales fondues et des cendres de bois qui, les jours de pluie, s’écoulaient, ruisselaient… D’année en année, ces résidus rejoignaient les eaux du Tibre qui serpentait au pied de cette colline. A ces eaux, miraculeusement moussantes et savonneuses, les riverains associèrent très vite des vertus nettoyantes… » (Suzanne Chénard)
Cette belle histoire de la « découverte » supposée du savon, et de la « sapo… nification », aurait bien pu être aussi celle de la naissance de la chimie du végétal. Mais en réalité, il faut savoir que le savon et bien d’autres produits détergents et émulsifiants avaient déjà été découverts et utilisés 2000 ans plus tôt en Mésopotamie puis en Egypte. Qu’importe, l’histoire du mont Sapo est si belle ! En tous cas, elle nous interpelle: Et si le végétal pouvait devenir, ou redevenir, LA nouvelle source de carbone de notre chimie du futur ?
Jusqu’à l’avènement du pétrole, au début du XXe siècle, notre civilisation était « renouvelable » et essentiellement durable, enracinée dans la terre. Mais dans quarante ou cinquante ans, peut être soixante tout au plus, le pétrole, comme le gaz, ne seront plus que le souvenir d’une parenthèse, bien courte, de notre histoire. C’est donc dès aujourd’hui qu’il faut réapprendre la sobriété et qu’il faut maîtriser des alternatives crédibles au « moteur » pétrolier de notre développement, lequel est sur le point de s’essouffler. La biomasse est l’une de ces rares alternatives, hydrocarbonée, vertueuse, flexible, intelligente, renouvelable. Mais les bioressources sont aussi limitées, bien sur, face à neuf ou dix milliards de terriens consommateurs en puissance… parce que les terres sont limitées et parce qu’il faut aussi se nourrir ! La gestion des bioressources apparaît alors comme un exercice vertueux d’intelligence et de bon sens.
Consacrer des bioressources à la production d’énergie renouvelable, c’est les détruire, utilement certes, mais irrémédiablement.
Les consommer comme aliments, c’est également les détruire, mais c’est incontournable si l’on veut assurer notre propre énergie vitale !
Orienter par contre des bioressources vers la production de matériaux ou de bases chimiques utiles, c’est les valoriser tout en mettant leurs molécules constitutives « en réserve »… et en stockant du carbone. C’est aussi permettre leur éventuel recyclage ultérieur et c’est enfin, en « bonus », autoriser leur transformation ultime en énergie, en fin de vie, transformation énergétique elle aussi renouvelable. L’enjeu des biomatériaux et des biomolécules, de la « moléculture à la chimie du végétal », n’est donc pas aussi anodin qu’il peut paraître dans la perspective de la bioéconomie et dans les chiffres de la transition « climat-énergie ». Même si nos politiques et les discours en vigueur sont pour l’essentiel « énergétiques », la chimie du végétal peut aussi participer à cette nouvelle croissance, avec les filières des biomatériaux, surtout en France d’ailleurs, premier pays agricole et deuxième pays « chimique » d’Europe.
Ainsi, si la chimie française est d’ores et déjà, « nourrie » au végétal pour 10 à 11 % de ses matières premières, elle devrait et pourrait l’être à hauteur de 15 à 20 % vers 2030, et bien plus encore au-delà. Il suffirait peut être que l’on greffe en Europe avec bon sens, au côté du « Paquet Energie-Climat » en vigueur , un autre « Paquet Matériaux-Chimie-Climat »… Il s’agit là d’un enjeu durable pour le climat, pour l’innovation et pour l’emploi, à travers notamment la vision aboutie de « l’industrie du carbone vert » que constituent les bioraffineries. Et la France s’en est fait une spécialité !