29 Déc Des stratégies européennes adaptatives
Une bioéconomie ajustée à chaque pays
Le CLUB / 2015
Pour le développement de leur bioéconomie, les pays européens les plus avancés sont sans conteste, depuis l’origine, l’Allemagne, la France et les Pays Bas (avec une mention particulière pour la Finlande, où l’économie massive du bois et de la fibre – avec celle de l’acier et du numérique – a dominé traditionnellement l’économie globale du pays). L’Allemagne, la France et les Pays Bas furent d’ailleurs à l’origine, dès le début des années 2000, de la création commune de l’association européenne ERRMA (European Renewable Resources and Materials Association). EERMA était, pour l’Europe, le prolongement de ce qu’était AGRICE en France (Agriculture pour la Chimie et l’Énergie, un groupement d’intérêt scientifique géré par l’ADEME, et associant les principaux partenaires) ou FNR en Allemagne, c’est à dire des plate-formes partenariales d’innovation et de recherche, aux financements publics et privés combinés. ERRMA fut très vite reconnue d’ailleurs comme l’interlocuteur bioéconomique privilégié de la Commission européenne (DG industrie et DG recherche).
Il est extrêmement difficile aujourd’hui de comparer, analytiquement, les politiques bioéconomiques qui sont mises en oeuvre par chacun de ces pays. La bioéconomie est en effet multiforme et fortement multi-politiques par nature (avec une dizaine de grandes filières systémiques combinant des marchés extrêmement diversifiés qui relèvent de secteurs économiques très différents). La bioéconomie touche en fait à une infinité de facteurs (carbone, énergie, matériaux, chimie, climat, territoires, R§D, innovation, emplois, ingénierie financière, politique forestière, politique agricole, politique des déchets, écologie…). L’élaboration d’un « parangonnage » classique de ces stratégies bioéconomiques serait donc vain, et qui plus est quasiment impossible à mener à bien.
Il est par contre intéressant de comparer les fondamentaux stratégiques de chacun de ces pays en termes de bioéconomie. Ils sont très éclairants.
L’Allemagne cherche ainsi principalement, par tous les moyens, à pallier son déficit en « électricité sans carbone » après l’abandon de sa filière nucléaire, et à compenser « en vert » son recours massif au charbon et à la lignite. Notre voisin cherche ainsi à disposer d’une électricité verte « en base », que ni le solaire, ni l’éolien (intermittents et aléatoires) ne peuvent lui fournir. D’où les politiques marquées qui sont ou ont été promues en Allemagne pour valoriser les bioressources abondantes de ce pays (même si, comme souvent en Allemagne, les mesures prises furent parfois excessives et suivies d’une marche-arrière, comme en matière de biodiesel par exemple…). C’est le cas de la méthanisation dédiée sur ressources agricoles qui est le plus flagrant (800 000 ha de maïs furent ensemencés en Allemagne pour produire de la bioélectricité de méthanisation, au rendement limité, et sans même que la chaleur cogénérée soit toujours valorisée… 800 000 ha représentent par exemple les deux tiers des surfaces françaises totales de cultures à biocarburants !). De même, des tarifs de rachat élevés d’électricité « verte » (par exemple, pour le bois énergie) furent mis en œuvre pour favoriser la bio-cogénération, avec parfois des conséquences néfastes sur l’approvisionnement en bois concurrent de la filière panneaux allemande, voire même sur l’égalité de concurrence entre opérateurs français et allemands pour l’approvisionnement en bioressources achetées dans notre pays. L’Allemagne pousse néanmoins très efficacement chez elle, sous un autre angle, la chimie biosourcée, les néo-matériaux, la recherche et l’innovation, dans une logique de recherche maximale de valeur ajoutée industrielle. Le « German Council for Bioeconomy » qui vient d’être institué (auprès du Ministère fédéral de la recherche) en est le témoignage.
Les Pays-Bas ont une autre caractéristique stratégique majeure, qui les différencient de l’Allemagne et de la France : c’est le manque de terres et de bioressources (sauf en ce qui concerne les gisements de certains biodéchets organiques). Ce pays est d’ailleurs énergétiquement dépendant du gaz off shore qu’il produit mais dont les gisements s’épuisent. Dans une logique stratégique durable, la Hollande s’oriente donc résolument vers l’importation de bioressources à défaut d’en produire suffisamment par elle-même (pellets, huile de palme… laquelle huile est d’ailleurs produite notamment par les anciennes colonies hollandaises d’Asie du sud ouest). La tradition néerlandaise séculaire de création de valeur par le commerce et la valeur ajoutée se confirme donc totalement en bioéconomie. La recherche et l’innovation dans le bio-sourcé y sont à la pointe. Et lorsque les Pays-Bas lancèrent, par exemple, leur politique de transition énergétique il y a 10 ans (à la même époque où la France votait sa loi POPE de stratégie énergétique), il se trouve que c’est bien le groupe gouvernemental chargé de la bioéconomie qui fut l’un des premiers à se constituer et à devenir opérationnel (au sein du ministère hollandais de l’économie).
La France, de son côté, se différencie fondamentalement de ces approches allemandes ou néerlandaises, par une stratégie beaucoup plus équilibrée et prudente de valorisation de ses propres ressources (dans les DOM y compris). Cette stratégie est en vigueur depuis les années 2003/2005, en faisant de la France, malgré les difficultés et les polémiques dogmatiques aux arguments pseudo-écologiques, une pionnière en Europe (communications interministérielles en Conseil des ministres ; plan biocarburants ; plan biocombustibles ; plan chimie du végétal et biomatériaux; plan bois construction environnement ; rôle éminent de l’ADEME ; institution d’un coordonnateur interministériel; etc.). C’est ce qui justifie, malgré les obstacles, la position de référence acquise par la France pour le développement équilibré et synergique des biofilières.